Le cinquième ingrédient ?

Le cinquième ingrédient ?

La barrique offre au brasseur un éventail de solutions selon qu’il se fournisse en neuf ou en occasion, qu’il l’utilise pour la garde ou pour la fermentation, selon son âge, sa provenance, selon son volume, l’origine de son bois, sa chauffe, selon son état bactériologique et l’alcool qu’elle a contenu préalablement… Au point qu’on pourrait presque la considérer comme un cinquième ingrédient, ouvrant encore plus le champ infini des possibles dans la quête de la recette idéale.

[cet article a initialement été rédigé pour TheBeerGame.fr le 06.06.2018]

L’effet sachet de thé

La barrique neuve n’a pas aujourd’hui vraiment la cote auprès des brasseurs pour une raison technique assez évidente : l’apport de tanins. En effet plus une barrique est neuve plus elle « marque » fortement le contenu de son empreinte boisée. Or la bière, moins tannique que le vin et plus légère en alcool (à part quelques exceptions), supporte beaucoup moins bien ce boisage.

Ce qu’il faut comprendre de la barrique c’est qu’elle fonctionne un peu comme un sachet de thé que l’on utiliserait plusieurs fois. A la différence près que le thé est plongé dans le liquide et que pour la barrique c’est l’inverse. Plus on utilise la barrique donc, plus elle s’épuise. Les tanins et autres composés organoleptiques profitant bien plus largement aux premiers contenus qu’aux derniers, la barrique devient progressivement neutre (sans goût) voire même asséchante, si elle est trop vieille.

L’extraction de ces flaveurs, comme pour le thé, dépend donc de plusieurs facteurs : la durée (combien de temps le liquide reste en barrique), la température du liquide et l’action mécanique (la dynamique du fluide à l’intérieur de la barrique).

De fait une fermentation en barrique, même sur une durée courte, épuise bien plus le bois qu’une garde de plusieurs mois à 10/12°C, tout simplement parce que la fermentation se fait à une température plus haute et que le liquide est beaucoup plus turbulent sous l’action des levures.

Une autre analogie peut être trouvée avec le houblon cette fois. Considérez un dry hopping (houblonnage à cru) que l’on ferait en fermentation primaire (en plein travail des levures et autour de 22°C) et un dry hopping que l’on ferait en cold crash (clarification à froid) autour de 0°C, on a peu de peine à imaginer que l’extraction des flaveurs ne serait pas du tout la même…

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Ex-Wine

Trou de bonde légèrement aviné

Le monde du vin tire donc partie de cette caractéristique d’épuisement du bois et gère alors ce poste d’investissement coûteux en n’achetant qu’une proportion définie de barriques neuves tous les ans. Les barriques sont généralement utilisées entre 2 et 5 ans selon les domaines, les usages, les appellations, les choix techniques et les budgets, mais aussi la qualité des jus et les volumes produits (le vin étant impacté par l’effet millésime, la qualité et la quantité peuvent varier fortement d’une année sur l’autre). Notons toutefois que quelques propriétés viticoles travaillent en 100% bois neuf, parce qu’elles ont la matière requise et les moyens financiers qui le leur permettent…

Les parcs de fûts sont ainsi gérés comme des parcs de voitures, et chaque année les plus vieux sortent du chai au profit des plus récents (occasion ou neuf). Dans le Bordelais par exemple le modèle classique est un usage de la barrique sur 36 mois, avec un renouvellement au tiers… tous les ans donc 1/3 du parc est renouvelé en neuf et 1/3 du parc (des barriques de 3 ans) est mis sur le marché de l’occasion.

C’est en général à ce moment que ces barriques rencontrent le monde brassicole… des barriques pour la plupart neutres ou presque et qui n’ont pas trouvé preneur dans le monde du vin, ni même dans le monde des spiritueux et qui font le bonheur des brasseurs sachant en tirer parti.

Les usages brassicoles sont alors variés : élaboration des bières de fermentations spontanées, élevages sur lies de fruits, apport tannique pour des bières déjà « charpentées »

(Stout, Scotch Ales, Barley Wine…), fermentations mixtes sur levures sauvages et/ou bactéries (brettanomyces, bactéries lactiques, acétiques…), apport de flaveurs vinaires (de type « finish ») en fonctions des cépages ou appellations d’origine (Sauternes, Muscats…) pour des bières de Saison par exemple.

Aux Etats-Unis, la marque Goose Island, c’est ainsi fait une spécialité de l’usage de barriques vinaires : elle nous explique son process à l’aide d’une infographie.

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Ex-Spirit

Bourbon Barrel (Tempus Project)

Cependant les barriques les plus recherchées aujourd’hui par les brasseurs sont les barriques ayant préalablement contenu des spiritueux ou vins fortifiés. L’accord le plus évident est celui qui est fait avec des barriques de whisky ou de bourbon, la matière première de base (le malt d’orge et autres céréales telles que le maïs ou le seigle) étant la même, mais le cognac, l’armagnac, le calva, le porto, le xérès (sherry), le rhum, la tequila se tirent aussi la bourre sur le marché des bières « élevées en fûts de ». Le principe est ici de profiter des flaveurs relarguées par le contenant afin d’aromatiser son produit.

Et le modèle n’a pas été inventé par la bière… c’est le whisky qui le premier s’est donné des notes d’ailleurs en affichant des élevages plus ou moins exotiques. Classiquement le whisky se complet dans d’anciens fûts de bourbon (en chêne blanc américain) ou, pour les plus grandes cuvées, dans des fûts de sherry (xérès) mais il n’est pas rare de voir désormais des whiskys qui s’offrent un petit passage en fûts de Porto ou de Sauternes… voire même (et la boucle est bouclée) en fût d’IPA !

Et le prétexte du finish en barrique n’est pas uniquement technique et gustatif, il est aussi marketing, tant la barrique est devenue un argument de vente et de valorisation des coefficients de marge !

De fait le marché de l’occasion hors barriques vinaires devient de plus en plus tendu et les prix s’envolent au profit des plus gros opérateurs, qui sont rarement dans le camp des brasseurs mais plutôt dans celui des spirits.

Autre phénomène, la rotation des parcs de barriques de spiritueux (hors bourbons dont la durée d’élevage est assez courte) est très lente. Elle se chiffre souvent en décennies, ce qui rend l’offre encore plus restreinte.

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L’occasion fait le larron

La barrique vinaire quant à elle ne manque pas. Etant entendu que quand elle sort des chais c’est souvent pour ne plus y re-rentrer (une barrique de plus de trois ans ayant du mal à trouver une seconde vie dans le monde viticole), les opérateurs d’occasion doivent désormais redoubler d’inventivité pour pouvoir les revendre.

Il y a 2 ou 3 ans encore la raréfaction des barriques de Bourbon permettait à ces barriques vinaires de chêne américain (préférentiellement) et français (en second choix) de trouver quelques belles opportunités en Ecosse mais le marché du fût de Bourbon s’étant réouvert, c’est aujourd’hui le marché brassicole qui fait de l’œil aux vendeurs de contenants de seconde main.

La chose n’est pas simple. Nous aurons l’occasion de reparler de la bactériologie et de l’entretien d’une barrique mais le premier écueil réside dans la crainte de la contamination. En effet, tous les brasseurs n’ont pas pour objectif d’aller refermenter leurs produits avec des levures sauvages ou des bactéries… or avec une barrique ex-wine il y a toujours un risque, pour peu que le produit n’ait pas été correctement sourcé (avec mise en œuvre d’analyses), nettoyé et entreposé…

Alors une technique est assez répandue. Elle consiste à démonter la barrique, la gratter (raboter la couche avinée interne), la toaster (appliquer une chauffe), la remonter en changeant éventuellement les cercles et la poncer pour en faire une barrique retravaillée (« reworked » ou reconditionnée) avec l’apparence du neuf. La barrique ainsi rénovée se négocie à 50 ou 60% de son prix neuf… sauf qu’elle ne l’est pas et qu’à ce compte autant acheter de la barrique neuve et la faire vivre sa vie en brasserie de la même manière que dans un chai, en commençant par des élevages très courts sur des bières puissantes, pour aller progressivement vers des bières plus subtiles dans le même temps que les tanins vont se gommer…

Deuxième astuce : cette même barrique rénovée peut aussi être avinée avec quelques litres d’alcool pendant quelques mois pour lui donner l’apparence d’une barrique ex-spirit et être revendue comme telle. Cependant, ne nous leurrons pas, elle ne pourra jamais donner le même rendu qu’un fût ayant porté un alcool pendant des années, voire des décennies. Avec ce type de procédés la restitution (le relargage) est plus « alcooleuse » qu’aromatique.

En résumé, sur le marché de l’occasion, il y en a pour tous les goûts mais il faut se méfier des fausses promesses. La méconnaissance du marché peut amener les brasseurs les moins avertis à quelques déconvenues techniques et à des surcoûts pas toujours faciles à répercuter sur le prix de vente.

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