Copeaux, quel impact pour la bière ?

Copeaux, quel impact pour la bière ?

En mars dernier, le Craft Beer Expo de Saint Malo et le Salon du Brasseur de Nancy ont été l’occasion pour Radoux-Pronektar et l’IFBM de présenter les résultats de leur première phase de tests sur l’apport organoleptique des copeaux de chêne dans le processus de fabrication d’une bière. Nous nous sommes procurés le protocole de recherche ainsi que les échantillons… et nous les avons goûtés !

L’utilisation de matériel œnologique, principalement sous la forme de barriques, est une des grosses tendances de la bière “craft”, nous en avons déjà parlé ici (retrouvez tous les contenus sur le sujet bois & barriques). Cependant, quand il s’agit de donner un goût boisé à la bière, l’usage de matériel plus facile à manipuler, moins onéreux, moins risqué (bactériologiquement) et permettant d’obtenir des résultats rapides (là où la barrique pourra prendre des mois), on peut se tourner vers ce que l’on appelle pudiquement les alternatifs.

Les alternatifs sont essentiellement les résidus de la fabrication des tonneaux qui sont recyclés sous différentes formes (staves, inserts, cubes, copeaux…) afin d’être utilisés pour le boisage du vin ou de la bière par macération (définie pour la bière par le Decret n° 2016-1531 revu au 1er janvier 2017). Tout comme pour l’élaboration des barriques, ces produits œnologiques sont sélectionnés et manufacturés par l’artisan tonnelier. Tout comme pour les barriques donc, ils proviennent d’une essence noble, le chêne, qui peut être de différentes variétés (chêne français, chêne américain…) et ils sont chauffés (toastés) selon le besoin du client.

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Le contexte de l’étude

C’est donc tout naturellement que la Tonnellerie Radoux, via sa filiale Pronektar, s’est intéressée à l’impact des copeaux de chêne sur le goût d’une bière, afin d’être en mesure, à l’avenir, de guider au mieux ses nouveaux clients brasseurs dans l’usage de ces produits. Il a donc été confié à l’Institut Français des Boissons de la Brasserie et des Malteries, le soin de mener des tests sur l’incorporation des copeaux dans la fabrication de bière avec pour but de comprendre les incidences sur le goût en fonction de différents facteurs : le moment d’incorporation, la température de macération, le dosage (en grammes par litre) ainsi que l’aspect variétal (chêne français, chêne américain).

L’échantillon de référence est une bière blonde plutôt ronde de type belge à 7.3 vol. d’alcool par litre (densité initiale communiquée de 15,7 ° Plato). La fermentation primaire est régulée à 19°C pour limiter l’impact aromatique (levure utilisée = Fermentis Safale BE-256). Le houblonnage est également maîtrisé, pour les même raisons (amérisation de l’ordre de 22 IBU et pas d’aromatique). La rondeur résiduelle est de 2,8° Plato et la bière a été refermentée en bouteille. Plan de fermentation : entonnage à 18°C, fermentation primaire à 19°C, puis passage en garde à différentes températures d’étude (20°C, 15°C ou 10°C) pendant 4 jours dès lors que la vitesse de fermentation devient inférieure à 0,2° Plato par jour. Cette étape est suivie d’une garde à froid (cold crash) à 2°C pendant 10 jours. Le mash bill : Pils (83,5%), Munich 30 (5,5%), Avoine (11%).

Le protocole d’étude vise à incorporer des copeaux de chauffe moyenne (chêne français ou chêne américain) à différents dosages et différents moments du processus de production pour en mesurer l’influence. On notera que ces différents essais n’ont ni modifié le diagramme de fermentation, ni les propriétés physico-chimiques et bactériologiques du moût. Sur les 9 essais réalisés, la fermentation suit la même courbe et les les moûts sont de qualité équivalente au brassin test. Seul le goût en a été modifié et dans différentes mesures que l’on va tenter de vous retranscrire.

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Crash test dummies

Pour goûter les échantillons offerts pour l’occasion par Radoux, nous avons constitué une équipe de choc, professionnels de la bière, avec, pour chacun d’entre eux, des compétences en fabrication et en dégustation. De gauche à droite donc :

Grégory Nèble, responsable régional pour le créateur et producteur américain de houblons Yakima Chief (Etat de Washington).

Jocelyn Chazel, le brasseur et cofondateur de la Brasserie Effet Papillon, qui, entre autres expériences, a travaillé pour la tonnellerie Nadalié (qui marque également un intérêt pour l’usage du matériel œnologique en contexte brassicole) et qui pratique avec style les élevages et affinages de bières en barriques.

Hugo Teillac, technico-commercial en alternance pour cette même brasserie et étudiant, à Bordeaux, dans le cadre du cursus “Bachelor Commercialisation des Vins & Spiritueux” de l’INSEEC.

Simon Collie, digne représentant du plat pays et responsable commercial sud-ouest pour le distributeur spécialisé Craft Beer France, qui compte, en portefeuille, quelques-unes des meilleures brasseries européennes.

Notons que la perception que nous avons eu de ces échantillons n’a pas vocation à être universelle. Elle ne rejoint pas forcément à chaque fois les conclusions rendues par l’IFBM et Radoux mais s’en rapproche fortement dans les plus grandes lignes (que nous apporteront en conclusion). Il est bien évident que les perceptions olfactives et gustatives sont très implicitement liées à la nature de la bière testée (une blonde de type belge) et que les résultats pourront être différents sur d’autres recettes. Néanmoins, cette dégustation nous a très largement aiguillé sur la façon dont nous pouvons employer les copeaux selon leur type, leur dosage et le rendu souhaité.

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Knock on wood

Échantillon N°1 / Bière de référence

Une ale blonde de type belge au nez discrètement fruité. La fermentation à 19°C a limité l’apparition significative des esters généralement associés à l’emploi de la levure BE-256 à savoir essentiellement l’acétate d’isoamyle responsable des flaveurs de banane ou de bonbons “Arlequin”. La bouche est ample, ronde, fruitée, assez typique du style avec un côté chaud, un poil trop “alcooleux” mais qui va se révéler être un excellent marqueur au fil de la dégustation.

Échantillon N°2 / Incorporation de copeaux de chêne français (8 g/L) au Whirlpool (à 95°C)

Quasiment imperceptible au nez (mais à 95°C on peut supposer que les odeurs se sont échappées). En bouche par contre le boisé est présent. On sent une légère acidité en entrée de bouche et très vite une “minéralité” proche d’un élevage en barriques ex-wine (vin blanc ?). La sensation est un peu asséchante mais apporte de la longueur et surtout (et c’est cela qui intéressant) équilibre la rondeur de la bière et compense favorablement son côté “alcooleux”.

Échantillon N°3 / Incorporation de copeaux de chêne français (8 g/L) pendant la fermentation (à 19°C)

Odeur du bois beaucoup plus présente, agréable. Pour le coup on note un meilleur équilibre nez/bouche que dans l’essai précédent. On est sur une aromatique vineuse avec des notes boisées, fumées et un peu d’astringence (tanins ?). On perçoit un côté toasté, pain grillé, qui est vraisemblablement le reflet de la chauffe moyenne. L’essai fait l’unanimité et on se projette sur l’emploi de ce process pour rééquilibrer des bières avec de la rondeur (sucres résiduels).


Échantillon N°7 / Incorporation de copeaux de chêne américain (4 g/L) pendant la fermentation (à 19°C)

On passe directement à l’échantillon n°7 pour pouvoir comparer au chêne français dans des conditions d’adjonction similaires (outre le dosage). Le nez coco se confirme en bouche. Le côté “alcooleux” est plus présent toutefois que sur l’essai précédent (dosage plus faible ?). C’est moins équilibré. Cependant on note tout de suite un côté spiritueux très marqué (whisky, bourbon). C’est vif, expressif, épicé (cannelle ?). On se projette sur l’utilisation en finish de bières de caractère (stout, scotch ale…), en ersatz de barriques ex-spirits, peut-être avec macération préalable dans de l’alcool et avec un dosage à 8 g/litres voire plus…

Échantillon N°4 / Incorporation de copeaux de chêne français (8 g/L) en garde chaude (à 20°C)

Au nez c’est très plaisant, légèrement vineux et cela sans venir contrarier la recette initiale. En bouche c’est un poil trop boisé (pour la recette). On a du fumé, du toasté, de l’épice, un peu d’âpreté. De notre point de vue, soit il faut réduire le dosage soit il faut de la garde à cette recette pour que les tanins s’arrondissent et se patinent. En tout état de cause le résultat est atteint ; reste qu’il faudrait peut-être l’adapter à un autre style de bière.

Échantillon N°5 / Incorporation de copeaux de chêne français (4 g/L) en garde chaude (à 20°C)

Le nez est ici discret. En bouche on retrouve la chaleur de l’alcool et l’on pense que le dosage aurait pu être augmenté (6 g /litre ?) pour plus d’équilibre. On retrouve ce côté structuré, boisé, vineux que l’on avait sur l’échantillon n°3 et une belle longueur en bouche. C’est pertinent. A essayer sur un autre produit par contre.

Échantillon N°6 / Incorporation de copeaux de chêne américain (8 g/L) en garde chaude (à 20°C)

L’essai nous confirme ce que perçu précédemment. Le chêne américain à ces doses nous amène très nettement sur le champ sémantique des spiritueux : de la chaleur, de la vanille, du fruité (mirabelles ?), l’âpreté du tabac, du pain brûlé…

Échantillon N°8 / Incorporation de copeaux de chêne américain (4 g/L) en garde chaude (à 20°C)

Au nez et en bouche c’est plus équilibré que sur l’essai précédent (N°6) mais ça ne colle toujours pas avec le profil de l’échantillon. A essayer sur un Porter, une Smoked Ale pourquoi pas…

Échantillon N°9 / Incorporation de copeaux de chêne américain (4 g/L) en garde chaude (à 15°C)

Pour le coup on perçoit un côté bonbon “Arlequin” qu’on n’avait pas eu sur l’échantillon N°1. Peu concluant.

Échantillon N°10 / Incorporation de copeaux de chêne américain (4 g/L) en garde chaude (à 10°C)

Il ne se passe plus grand chose à 10°C… un peu plus de longueur en bouche peut-être mais, pour le reste, rien de significatif.

On résume

L’incorporation à chaud (en fermentation à 19°C ou en garde à 20°C) montre pour nous les meilleurs résultats.

Le dosage joue également et logiquement beaucoup sur le profil de la bière : 4 g /litre pour un profil subtil et 8 g/litre pour plus de structure… voire plus encore si la recette peut le supporter (on pense a des bières avec beaucoup de corps, et/ou d’alcool.. avec des goûts puissants : malts torréfiés, fumés…).

La variété de chêne donne aussi le ton, tantôt qu’on veuille un marqueur vineux (chêne français) ou spiritueux (chêne américain).

L’incorporation à des températures plus basses (dans le contexte de l’étude à 15°C ou 10°C) reste une option pour qui souhaite préserver le produit initial tout en apportant une subtile touche boisée.

Le groupe de dégustation a pris beaucoup de plaisir à déguster les différents échantillons et envisage de travailler un peu plus à l’avenir (pour les brasseurs présents) avec des produits alternatifs tels que les copeaux.

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A suivre

La prochaine étape de cette étude se déroulera à 12 mois de l’embouteillage pour noter l’évolution des échantillons après une garde prolongée en bouteille. Pour toutes questions n’hésitez pas à contacter Gabriel POTIER qui est en charge du secteur brassicole chez Radoux-Pronektar (par mail ou téléphone : 06 85 57 20 96) ou envoyez-nous un message (Rubrique Contact) que nous relaierons.

Radoux France et Pronektar comptent parmi les 27 maisons du Goupe TFF. La tonnellerie Radoux dispose de deux sites de production : un en France à Jonzac (Charente Maritime) et l’autre aux USA à Santa Rosa (Sonoma County, Californie). La marque est aussi présente en Espagne et en Australie. Elle fait partie des tonnelleries qui comptent dans le paysage viticole mondial, notamment pour la qualité de ses produits et sa capacité à innover. Un département R&D a été mis en place dès l’an 2000. Sous la direction de Thomas GIORDANENGO, il a nécessairement très largement contribué à la mise en oeuvre et à la coordination de cette étude avec le support technique de Pierre BRABANT (IFBM).

Pourquoi ce crowdfunding compte ?

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